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Expérimentations en vue d'une demande de dérogation aux seuils réglementaires de nickel et de chrome dans les amendements organiques produits sur l'île de La Réunion

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expérience
exemplaire

Cirad

contexte

Le projet a pour but de favoriser le recyclage de déchets organiques pouvant être valorisés agronomiquement, en s’intégrant dans la logique d’économie circulaire sur l’île. La finalité du projet doit également soutenir la mise en œuvre du Plan départemental de Prévention et de Gestion des Déchets Non Dangereux (PPGDND) de La Réunion en favorisant la voie de valorisation agronomique, qui reste la principale voie de valorisation envisagée et envisageable pour les résidus organiques rentrant dans la catégorie des amendements organiques.

Les recherches du Cirad et de ses partenaires menées dans les années 2000 ont démontré que la présence de particules de sol naturellement riches en nickel et en chrome dans de nombreuses matières premières entrant dans la composition des résidus organiques utilisés pour amender les sols agricoles de La Réunion se traduisait par un dépassement fréquent des teneurs limites en nickel et en chrome dans les amendements organiques et en conséquence des flux d’apport potentiel de nickel et de chrome aux sols agricoles lors de l’apport de ces amendements organiques.

En conséquence, la Daaf de La Réunion a déposé dès 2013 une demande auprès de la DGAL pour l’obtention d’une dérogation à la norme NF U 44-051 portant sur une révision à la hausse des seuils des teneurs en nickel et en chrome dans les amendements organiques produits et utilisés à La Réunion, d’une part, et des flux d’apports de nickel et de chrome sur les sols agricoles, d’autre part.

Suite à une saisine de l’Anses, la DGAL a rendu un avis favorable pour l’épandage des amendements organiques uniquement sur les cultures de canne à sucre et les espaces verts de l’île, qui s’est traduit dans la publication de l’amendement A3 à la norme NF U 44-051. Dans son avis pré-cité, l’Anses a précisé que l’extension de cette dérogation à d’autres cultures de l’île (notamment aux cultures maraîchères et fourragères) ne pourrait être obtenue que sur la base de preuves expérimentales démontrant que l’apport au sol d’amendements organiques dépassant les seuils fixés par la norme NF U 44-051 n’augmentait ni les teneurs totales en nickel et en chrome, ni la teneur de chrome sous forme hexavalente dans les organes récoltés de ces cultures.

objectifs et résultats

Objectifs généraux :

Le projet a été construit pour répondre spécifiquement aux deux dernières demandes de l’Anses, à savoir de démontrer que l’apport au sol d’amendements organiques dépassant les seuils fixés par la norme NF U 44-051 n’augmente ni les teneurs totales en nickel et en chrome, ni la teneur de chrome sous forme hexavalente dans les organes récoltés des cultures maraîchères et fourragères.

Le projet a pour objectif premier d’évaluer la phytodisponibilité du nickel et du chrome pour les cultures maraîchères et fourragères de l’île de La Réunion fertilisées avec des amendements organiques produits sur l’île et dépassant les seuils fixés par la norme NF U 44-051. Un objectif secondaire du projet est de soutenir la Daaf de La Réunion pour une demande auprès de la DGAL d’extension de la dérogation de l’amendement NF U 44-051/A3 aux cultures maraîchères et fourragères de l’île.

Objectifs quantitatifs :

Pour réaliser les objectifs généraux du projet, le projet a été structuré autour de trois tâches :

  • Tâche 1 : Evaluation de la phytodisponibilité à travers des expérimentations sur le terrain
  • Tâche 2 : Evaluation de la phytodisponibilité à travers des expérimentations complémentaires au laboratoire
  • Tâche 3 : Détermination de la spéciation de Cr dans les organes récoltés des cultures maraîchères et fourragères
Résultats quantitatifs :
  1. Principaux résultats de la tâche 1

Le premier résultat important a été que Ni et Cr ne se sont pas accumulés de manière significative dans les sols au cours des 7 ans. Cette tendance a été validée par la modélisation des données et s'explique par le fait que les teneurs initiales et naturelles en Ni et Cr dans le sol représentent une quantité de Ni et Cr bien plus importante que ce qui est apporté par les apports via les amendements organiques. En simulant la continuation de ces pratiques de fertilisation sur 1 siècle nous avons pu estimer que l'apport d'amendements organiques ne finirait par augmenter la concentration en Ni du sol que faiblement. L’évaluation à l’aide d’un modèle du risque de toxicité sur les organismes du sol (faune, microorganismes et plantes cultivées) associé à cette faible accumulation temporelle laisse penser que ce risque est faible.

Le second résultat important a été que les concentrations en Ni et Cr dans les organes récoltés des 5 plantes cultivées ont été soient similaires pour toutes les modalités de fertilisation, soient significativement supérieures pour la modalité d'apport d'engrais minéral. Cela suggère donc que l'apport d'amendements organiques n'est pas de nature à faire accumuler plus de Ni et Cr par les plantes maraîchères.

Nous avons également évalué le risque sanitaire pour l'être humain lié à l'ingestion de légumes présentant ces concentrations en Ni et Cr. Pour Ni, les résultats montrent que les doses journalières ingérées seraient inférieures au seuil toxicologique et que le risque est donc faible (pour ne pas dire inexistant). Pour Cr, la conclusion dépend du degré d'oxydation de Cr. Si Cr est sous forme de CrIII, le risque toxicologique serait faible comme pour Ni et on observe même que le risque serait plutôt nutritionnel, c'est-à-dire que la consommation de légumes pourrait se traduire par un trop faible apport de CrIII. Si par contre Cr est sous forme de CrVI, le risque toxicologique s'avèrerait alors très vraisemblable. Il n'est donc pas possible de conclure sur ce point pour Cr sur la base de ces données. Ce résultat pour Cr illustre la raison d'être de la demande de l'Anses quant à la détermination de la spéciation de Cr dans les organes récoltés des plantes cultivées (cf. résultats de la tâche 3 ci-dessous).

  1. Principaux résultats de la tâche 2

Les expérimentations en RHIZOtest ont été réalisées sur 4 types de sol (brun, brun andique, andique perhydraté et andique non perhydraté) pour les deux cultures maraîchères sélectionnées (chou et tomate) et sur deux types de sol (andique perhydraté et andique non perhydraté) pour les deux cultures fourragères sélectionnées (ray-grass et chloris). Pour chaque couple sol-culture, trois types d'amendements organiques ont été testés : les broyats de déchets verts, les composts de déchets verts et les écumes. Pour chaque triptyque sol-culture-amendement, trois modalités de fertilisation ont été comparées : une fertilisation minérale, un apport d'un amendement organique ne dépassant pas le seuil de teneur en Ni et dont l'apport a engendré un flux de Ni égal au seuil réglementaire national et un apport d'un amendement organique dépassant le seuil de teneur en Ni et dont l'apport a engendré un flux de Ni égal au seuil dérogatoire demandé. Au total, le traitement statistique des quantités de Ni et Cr prélevées par les plantes a été réalisé sur un jeu de données constitué de 224 échantillons de plantes, réparti en 48 triptyques sol-culture-amendement pour lesquels les trois modalités de fertilisation ont pu être comparées « toute chose égale par ailleurs ».

Sur l’ensemble du jeu de données (n = 447), l’analyse statistique a montré que le type de sol (brun, brun andique, andique perhydraté et andique non perhydraté), la culture (tomtate, ray-grass et chloris) et l’élément trace (Ni et Cr) avait chacun un effet significatif sur les flux de prélèvement de Ni et Cr par les plantes. En revanche, les sept modalités de fertilisation (minérale ainsi que les broyats de déchets verts, les composts de déchets verts et les écumes dépassant et ne dépassant les seuils réglementaires pour Ni) n’ont pas eu d’effet significatif sur les flux de prélèvement de Ni et Cr par les plantes.

En conséquence, l’effet statistique des modalités de fertilisation a été évalué indépendamment pour chacun des 48 triptyques sol-culture-amendement. Aucune des 48 situations expérimentales testées en RHIZOtest n’a montré qu’un apport d’amendements organiques dépassant les seuils réglementaires induirait une augmentation significative du prélèvement de Ni et Cr par la tomate, le ray-grass et le chloris. Ces résultats sont cohérents avec ceux de la tâche 1 du projet et suggèrent que, relativement aux pratiques agronomiques de référence compatibles avec les seuils réglementaires nationaux, l’apport d’amendements organiques aux doses maximales qu’autoriseraient la dérogation aux seuils réglementaires demandées pour La Réunion ne devrait pas induire d’accumulation plus importante de Ni et Cr dans les plantes maraîchères et fourragères de l’île.

  1. Principaux résultats de la tâche 3

Premièrement, une méthode dite « chimique », normalisée et recommandée par l’Anses, a été mise en œuvre sur 19 échantillons : les 6 amendements organiques et les 4 échantillons de sol de l’expérimentation en RHIZOtest de la tâche 2, ainsi que 3 échantillons de sol (fertilisation minérale et deux composts d’effluents d’élevage) et 6 échantillons de plantes (Chou et ray-grass pour chacune les trois modalités de fertilisation) prélevés en 2021 sur l’essai de terrain utilisé dans la tâche 1. Ces résultats suggèrent donc que CrVI est soit absent, soit présent en concentration négligeable dans les sols et les amendements organiques de La Réunion. Pour ce qui concerne les échantillons de plantes en revanche, la limite de quantification de la méthode chimique représente entre 40 et 500 % du Cr total mesurés dans les échantillons. Cela signifie que, si CrVI n’a pas pu être quantifié dans les échantillons de plantes, la sensibilité de la méthode chimique n’est pas suffisante pour s’assurer de l’absence de CrVI dans les échantillons de plantes du fait de leur très faible concentration en Cr total.

Pour aller au-delà de la sensibilité de la méthode chimique, une méthode physique basée sur la spectroscopie d'absroption des rayons X a été mise en œuvre au sein du synchrotron ESRF de Grenoble. Dans un premier temps, des échantillons de sol ont été analysés. Les spectres HERFD-XANES des 4 sols sont similaires entre eux et très similaire au spectre obtenu pour les minéraux d’olivine prélevés dans le sable de Sainte-Rose à la Réunion. Ainsi, il semble que le Cr dans les sols étudiés soit sous forme d’olivine qui sont héritées de la roche mère. De plus, dans les olivines, le Cr a un degré d’oxydation Cr(III) comme l’atteste sa signature spectrale très proche de celle du nitrate de chrome. Ensuite, les échantillons des 3 trois amendements organiques (AO) dépassant le seuil réglementaire de Ni et utilisé dans l’expérimentation RHIZOtest ont été analysés. Comme pour les sols, les spectres HERFD-XANES des trois AO sont quasiment identiques et sont très similaire au spectre de l’olivine. Ainsi, il semble que le Cr dans les AO étudiés soit également sous forme d’olivine avec un degré d’oxydation Cr(III). Selon toute vraisemblance ces olivines sont issues de particules de sols intégrées dans les AO. Enfin, sept echantillons de plantes ont été analysés. Dans les deux échantillons de plantes présentant les concentrations les plus élevées en Cr, les spectres montrent une spéciation du Cr entièrement sous forme de Cr(III). Dans les cinq échantillons de plantes présentant les concentrations en Cr les plus faibles, les spectres ont été très bruités. Néanmoins une spécaition d'allure Cr(III) a été observé. En tenant compte de l'incertitude sur les mesures physiques réalisées, il semble donc que Cr soit entièrement sous forme de CrIII dans les plantes et que dans le pire des cas la concentration en CrVI représente moins de 10% de la concentration en Cr total dans les plantes.

 

Résultats qualitatifs :

Les résultats acquis dans le cadre du projet suggèrent donc que le dépassement des seuils réglementaires en Ni et Cr dans les amendements organiques produits à La Réunion n’augmente ni les teneurs totales en nickel et en chrome, ni la présence de chrome sous forme hexavalente dans les organes récoltés des cultures maraîchères et fourragères. Les résultats sont donc de nature a pouvoir soutenir une demande de dérogation pour seuils de Ni et Cr dans les amendements organiques produits à La Réunion.

Mise en oeuvre

Description de l'action :

Le projet PhytAO-Ni/Cr a été construit pour répondre spécifiquement aux deux dernières demandes de l’Anses, à savoir de démontrer que l’apport au sol d’amendements organiques dépassant les seuils fixés par la norme NF U 44-051 n’augmente ni les teneurs totales en Ni et Cr, ni la teneur de Cr sous forme hexavalente – Cr(VI) – dans les organes récoltés des cultures maraîchères et fourragères.

Pour ce faire, nous proposons de structurer le projet PhytAO autour de quatre tâches :

  • Tâche 0 : Gestion et coordination du projet
  • Tâche 1 : Evaluation de la phytodisponibilité à travers des expérimentations sur le terrain
  • Tâche 2 : Evaluation de la phytodisponibilité à travers des expérimentations complémentaires au laboratoire
  • Tâche 3 : Détermination de la spéciation de Cr dans les organes récoltés des cultures maraîchères et fourragères

Ce travail mobilisera l’expertise développée par l’unité Recyclage et risque du Cirad à La Réunion depuis une vingtaine d’année sur l’écodynamique des éléments traces métalliques dans les sols agricoles de l’île. Il s’appuiera également concrètement sur deux dispositifs expérimentaux de terrain mis en place et suivis par le Cirad à La Réunion depuis une vingtaine d’année, ainsi que sur la maîtrise du dispositif de laboratoire RHIZOtest développé et normalisé par l’unité Recyclage et risque (Afnor 2015).

Planning :

CoPil = comité de pilotage

Bilan fin = bilan financier

Fac = Facturation

NA = note d’avancement

R = rapport

BAC = bilan d‘accompagnement communication

FAR = fiche action-résultat

vp = versions provisoires

vf = versions finales

Moyens humains :

50 j permanent, 22 mois post doctorat, 8 mois de stage

Moyens financiers :

233 k€ budget total

2/3 Ademe + 1/3 Feder Réunion Cirad , Etat, Région et

Moyens techniques :

Ce travail mobilisera l’expertise développée par l’unité Recyclage et risque du Cirad à La Réunion depuis une vingtaine d’année sur l’écodynamique des éléments traces métalliques dans les sols agricoles de l’île. Il s’appuiera également concrètement sur un dispositif expérimental de terrain mis en place et suivi par le Cirad à La Réunion depuis une vingtaine d’année, sur la maîtrise du dispositif de laboratoire RHIZOtest développé et normalisé par l’unité Recyclage et risque et enfin sur les compétences du Cirad lui permettant d'accéder à la ligne de lumière Fame ultra-haute dilution du synchrotron ESRF de Grenoble.

Partenaires moblisés :

Etat ( Daaf , Deal, ARS, Office de l’eau), instituts techniques Armeflhor , ARP, CA, Satege ), collectivités Sydne , Ileva ), coopératives (FRCA) et industriel (Tereos OI)

valorisation de cette expérience

Facteurs de réussite :

Le soutien de l'ensemble des partenaires tout au long du projet, notamment à travers leur présence active au sein du comité de pilotage du projet qui s'est réuni à trois reprises.

Difficultés rencontrées :

La tâche 3 concernant la détermination de la spéciation du chrome dans les plantes s'est avérée très complexe à mettre en oeuvre techniquement. LEtant donné le caractère très original des mesures réalisées, l'équipe scientifique du Cirad a cependant bénéficié du soutien marqué de l'équipe scientifique de l'ESRF.